La lettre vivante d’Anaïs & les chimps 🫶🏿🫶 – Édition 2
Pour cette nouvelle, je vous propose de mettre en fond sonore de cette lecture la musique Home – Jungle🎵
⏸️ Je me pose deux secondes.
Je commence petit à petit à atterrir de ce que je vis. Du fait de vivre en forêt, de perdre une routine à Paris et d’en créer une autre totalement différente où le centre n’est plus soi, mais le bien-être des chimpanzés. Les réveils peuvent être difficiles certains jours. Enfin, clairement, ils le sont souvent, mais, le devoir qui nous incombe ici est plus grand. Le sentiment d’être attendue, d’être essentielle pour la survie d’autres vivants, d’être indispensable pour d’autres, d’être le maillon d’une grande chaîne de la vie. De faire partie -vraiment- d’un tout qui protège, très concrètement. Les parents comprendront sûrement cette sensation, mais c’est nouveau pour moi. Prendre soin de petits êtres qui n’ont pas demandé à se retrouver ici, mais qui ont besoin d’amour pour commencer leur vie.
Et puis, avec des chimpanzés tout est différent. Et, en même temps tout est tellement similaire. C’est déroutant. Vraiment déroutant.
Au-delà de ça, je me questionne aussi la notion d’essentiel et d’indispensable. Évidemment que dans mon taff en France, j’ai déjà eu la sensation d’être nécessaire, indispensable, à une réunion par exemple. Mais maintenant que la vie, ou la survie, d’autres vivants est aussi concrètement dans mes mains, et bien j’avoue, que je relativise beaucoup ces moments passés.
⏰ Une petite anedocte matinale.
En parlant de réveil, il y a eu un sacré réveil ici mdr. Un bon matin, alors que l’on n’entendait aucun bruit sur le camp, on découvre que les petits chimps se sont échappés de « l’appatam » c’est-à-dire de leur dortoir, et vivent leur best life sur le camp. Une est en train de se casser le ventre en mangeant les meilleures bananes du seau de 10kg, l’un a attaqué la bouteille de miel directement au goulot, un autre s’est pris pour un chauffard et s’est posé dans le 4×4 en jouant avec les vitesses et commandes, une autre a découvert la chaise confort de Décathlon et la gourde d’une autre volontaire. Mdr tout ça dans le plus GRAND silence évidemment !Trop trop malins ces petits chimps.
Drôle après coup, mais alors imaginez à 7h00 du mat’, la tête dans le 🍑, devoir leur courir après pour les refaire rentrer dans leur dortoir… Mdr un réveil dans le plus grand des calmes.
D’ailleurs, la directrice Estelle Raballand, présente sur le terrain actuellement, nous a raconté une anecdote qu’elle a vécu en Guinée au CCC : une fois des chimpanzés se sont échappés et sont allés en cachette se régaler dans le camp des humains ( nourriture, curiosité etc). Quand ils étaient en train de faire leur escapade, ils se mettaient les mains devant la bouche pour s’empêcher de faire du bruit ( ils font des bruits naturels d’excitation, des bruits quand quelqu’un chose est bon, devant de la nourriture etc par exemple). Mdr j’ai trouvé cette anecdote tellement excellente. J’imagine la scène. Exactement comme des petits enfants humains quand ils vont faire une petite bêtise🙊🙊🙊.
🧬 Un lien qui nous unit.
Petit à petit, je tisse des liens avec les chimps. Quelle expérience indescriptible. Toutes et tous ont une personnalité à part entière. Ils ne se ressemblent pas, ont des habitudes, des traits de caractère, des mimiques, des traits du visage. Ils sont uniques, ont des prénoms, parfois même des préférences alimentaires, ils et elles ont des curiosités et besoins différents.
Exactement comme des humains.
Je lis en ce moment un livre « La politique du chimpanzé » de Frans De Waal. J’y apprends des choses passionnantes, j’en suis qu’au début mais j’ai déjà envie de vous partager quelques learning fous :
- 🎨 Dès les années 50, Frans de Waal montre des prémices de l’expression esthétique chez les chimps. Ils peuvent avoir du goût et des préférences esthétiques.
- ⚒️ Dans les années 60, Jane Goodall montre le façonnement des outils. D’ailleurs c’est fou de les voir manipuler des outils ! Vraiment c’est fou, je partagerai quelques vidéos. Je suis fascinée par leur malice, précision, manipulation.
- 🔊Dans les années 70, Trixie Gardner et son mari ont appris le langage des signes à un chimpanzé. Ils témoignent de formes primitives de demande et d’assertion. Ils ont un langage. Ils comprennent. Ils communiquent. Ici, on parle aux chimpanzés, ils comprennent. On communique parfois en langage français et en langage chimpanzé. Ils saisissent tout de suite l’intention via l’intonation de notre propos.
- ⚖️ Dans les années 80 : coup de tonnerre. On se rend compte qu’un domaine que l’on pensait réserver aux humains est en fait déjà à l’œuvre chez les chimpanzés : la politique. Il existe des manœuvres politiques chez les chimps. Coup de force, réseau de dominance, lutte pour le pouvoir, stratégie de désunion, d’alliance, de coalition d’arbitrage, des directions collectives, des privilèges, des tractations…
Et dire qu’on pensait que seul l’humain ( et parfois l’homme 😉) avait un sens artistique, un langage, des outils… Que nenni !
Frans de Waal dans sa recherche, sur une colonie en semi-liberté d’un zoo en Hollande, a montré les stratégies sociales hautement complexes à l’œuvre chez les chimpanzés. La politique est plus vieille que l’humanité même si ça déplaît à l’humain !
Je pense que le niveau d’humilité que je ressens à côté des chimps est parfois plus élevé qu’à côté de certains (vieux) mecs. Pardon, mais c’est vrai ( mon côté féministe ☺️). Je ressens leur niveau de sensibilité, d’intelligence, de tendresse, d’ingéniosité, de précision. Quand je vois Emma laver son légume dans la rivière quand il y a du sable dessus alors qu’elle adore et qu’elle tient à la propreté ! Ou quand je vois Akouba et Judith s’enlever avec minutie les fils d’ananas coincés dans leurs dents après le repas. Quand je vois Jules casser son cacao contre un tronc d’arbre bien aiguisé et choisi avec dextérité. J’ai pléthore d’exemples ! Je tiens un carnet où j’écris tout ce que je trouve fascinant chez eux. J’observe avec tellement d’émerveillement, je partagerai ces merveilles ici.
Pour finir sur le livre, l’auteur demande pourquoi est-ce que les gens rient devant les chimps (plus que devant d’autres animaux) dans les zoo ? (Btw, j’ai appris que les chimps ont conscience de leur captivité dans les zoos alors que d’autres animaux non. Ils ont conscience d’être enfermés, quel gâchis pour des êtres aussi brillants. J’étais déjà contre les zoos, ça ne fait que renforcer).
Bref, j’en reviens à la question. Frans de Waal y répond en disant : « Derrière cette hilarité se cache peut être d’autres sentiments comme une réaction nerveuse due à la ressemblance étroite entre humains et chimpanzés… Les chimps nous tendent un miroir mais on garde difficilement notre sérieux lorsque l’on est confronté à l’image qu’ils réfléchissent. Plus on apprend sur les grands chimpanzés, plus notre crise d’identité s’approfondit. La ressemblance se limite pas à l’apparence. Quand on plonge son regard dans les yeux d’un chimp, on y rencontre une personnalité intelligente indépendante… »
Mic drop 🎤
J’ai hâte de continuer à développer des relations avec eux. Je tisse des liens, je tisse je tisse. Je me sens un peu comme l’araignée ÉNORME que l’on a dans notre « cuisine » au camp. Elle est énorme bordel, avec son ventre de futurs bébés à en devenir. Une angoisse, mais bon on partage l’espace hein. Sharing is caring. La forêt c’est aussi chez elle. Même si parfois, je ne serai pas de refus d’un peu d’espace personnel à moi 😅.
Enfin bref, revenons à nos moutons. Enfin à nos chimps. En tant que volontaire notre rôle est d’apporter le plus de réassurance et d’amour possible. Autant vous dire, que j’en ai à revendre. Et que finalement, ils m’en rendent beaucoup. Beaucoup plus qu’ils ne le pensent et que je le pensais. Une fois, Djodjo, le plus petit, jouait avec mon masque. Il était curieux de voir mes expressions du visage, c’est très important pour eux pour cerner la personne/ son mood etc. Ce sont des animaux sociaux. Bref, j’ai enlevé mon masque. Il m’a observé avec ses yeux ronds et profonds. Il a caressé ma joue, délicatement. Une caresse suivie d’un bisous avec sa petite bouche, de ses petits bras autour de moi et d’un gros câlin de lui contre ma poitrine. Ça m’a émue.
⚠️ Attention, je rappelle que les chimps sont pas des animaux de compagnie, ce sont des animaux sauvages ( attendez que je vous parle d’Asta qui a essayé de me chopper 😂). Ces interactions ne devraient jamais arriver. Elles ne seraient jamais arrivées si des braconniers n’avaient pas tué sa maman à qui il en aurait fait des bisous et câlins…
Il faut combler cet amour. Et nous, on est là pour ça. D’ailleurs, dans la prochaine lettre, je vous parlerai de cet amour à combler avec « la théorie de la bouteille » que la directrice a créé. C’est très parlant.
📈📉 Déso j’avais prévenu, nature peinture.
Ce qui est très parlant aussi c’est mon niveau de fatigue mdr. Mes cernes parleront pour moi. Je suis fatiguée. C’est très intense. Difficile aussi hein je ne vais pas mentir. Physiquement. Socialement. Émotionnellement. Culturellement aussi parfois. Tout est poussé à son paroxysme. Je reparlerai de tout ça dans une prochaine lettre car j’en apprends beaucoup (beaucoup) sur moi, sur les humains, sur les liens, sur le monde. Mon corps est poussé dans ses retranchements les plus compliqués. J’me suis tapée infection urinaire, mycose, champignons aux pieds. Enjoy la photo.
Je veux montrer tout ça parce que je ne veux pas romantiser ce que je vis. Vous ne trouverez pas d’aventurière sexy ici, seulement la vérité de la vie en forêt. La vérité c’est que tout est bousculé ici dans son rapport au corps ( et à tout en fait). J’en reparlerai. Je pense que je n’ai pas vu / bu d’eau claire depuis mon arrivée. Dans mon corps, il doit y avoir des centaines de morceaux de feuilles, sable, insectes que j’ingère dans l’eau de la rivière (je vous rassure on met quand même des gouttes contre assainir l’eau tant que possible, mais bon ça ne m’a pas empêché une petite diarrhée à mon arrivée).
🌊✨🌠 Fin
Je vais éviter de conclure sur une histoire de merde (c’est le moins qu’on puisse dire mdr). J’ai envie de vous parler d’un moment précis et marquant pour moi dans cette aventure.
Il y a deux semaines, j’ai profité de mon jour off pour aller « faire petit poisson dans l’eau » comme ils disent ici pour aller se baigner. Ce jour là, il faisait une chaleur étouffante, vraiment l’enfer ( comme c’est beaucoup le cas ici- saison chaude – je crève- sérieux je crève). Il faut s’imaginer ici que je me lève transpirante, je transpire de ouf la journée en forêt ou en m’occupant des chimps en cage, je dors transpirante. Je vis dans ma transpiration en fait mdr. Je pue en continue, as always mood.
Ce jour là, j’en ai profité pour aller à la rivière. Il y a une rivière dans la forêt où les chimps adorent aller, les soigneurs appellent ça « la plage ».
Et, quel bel accueil j’ai eu : une dizaine de papillons volait un peu partout autour de moi. C’était merveilleux de voir leurs couleurs, leurs mouvements. C’était foisonnant, et ça m’a émerveillé. Ça faisait tellement longtemps que je n’avais pas vu ça. En France, les papillons sont particulièrement en grande disparition.
J’étais là, seule, dans mon plus simple appareil, dans une rivière où l’eau était fraîche, où quelques petits poissons jaunes de quelques centimètres à peine venaient me chatouiller les pieds. À ce moment-là, je me suis rendue compte de ce que je vivais vraiment. J’étais là, en train de me laver, seule, en pleine nature dans une forêt inconnue au bataillon, en Côte d’Ivoire.
Quel sentiment de plénitude et de liberté indescriptible. Je me sentais à la fois si forte et si vulnérable.
Bon, on ne va pas se mentir j’étais quand même vigilante à ne pas croiser un serpent d’eau ou autres petites bêtes. Mais finalement, ce sentiment de peur a rapidement laissé la place à un sentiment sauvage, bestial, de connexion totale à tous les éléments environnants. À ma nature la plus profonde. Celle d’une femme libre et vivante.
L’eau, les animaux, les papillons autour de moi, la lumière, les arbres, l’immensité. « Faire petit poisson dans l’eau » a véritablement pris tout son sens ce jour- là.
Je vous embrasse,
À bientôt,
Anaïs 🐟
Ps :
Pour rappel, les chimpanzés ne sont pas des animaux de compagnie. Tous nos chimpanzés sont issus du trafic. L’une des missions d’Akatia est de réhabiliter les Chimpanzés qui nous sont confiés, c’est-à dire leur réapprendre à vivre dans un environnement proche de celui qu’il n’aurait jamais dû quitter. Tous les jours, ils partent en forêt avec les équipes pour profiter de celle-ci et nous leur apportons tous les soins médicaux nécessaires à leur bien-être.
Ps :
Cette lettre est rédigée avec les moyens du bord, avec surement des coquilles, une connexion très limitée. Ce blog est work in progress. Merci à Harvey Mingui pour sa gestion / création à distance.