Vous me connaissez… pas d’enjeux environnementaux sans enjeux sociaux. Pas de respect du vivant sans respect des femmes. J’ai donc organisé, avec une immense excitation, joie, malice, la première soirée lecture féministe du camp le 17 avril 2024. Une date qui restera gravée pour tout le monde 😂
1/ Comment je m’y suis prise ?
Pendant ma semaine de guérison à Abidjan, je suis allée à la Fnac acheté un livre. Je voulais acheter un livre sur le féminisme pour l’offrir à quelqu’un avec qui j’avais eu un débat endiablé / houleux/ terrible sur l’avortement. Je sentais que cette personne était quand même ouverte à progresser dans ses idées et que son avis n’était que lié à un manque de connaissances sur le sujet. Il faut m’imaginer devant le vendeur de la Fnac : « euh vous avez tous les livres de Chimamanda Ngozie Adichie en rayon sauf celui « nous sommes tous des féministes » »? Le pauvre vendeur, « oui celui l’a on ne l’a pas ». Et vous avez pas d’autres livres sur le droit des femmes? « Non on vend pas ça ici. ». Y’a du taff !
Bref, j’ai fini par trouver, au bout du 3ème magazine mon graal. Ce fameux livre de Chimamanda Ngozie Adichi : « nous sommes tous des féministes », tiré de son merveilleux TedX disponible sur YouTube.
Bref à la base, ce livre était une manière de faire avancer quelqu’un avec qui j’avais eu un sacré débat en forêt. Au final, après une énième discussion sur le sujet avec des personnes ici, je me suis dit qu’en fait ça serait merveilleux de lire ce livre à tout le monde ! Au début je l’ai lu aux volontaires, et puis…. À tout le camp !
Me voilà lancée dans mon travail de lobbying intensif, d’abord en 1to1 auprès de chaque garçon avec ma voix toute douce et mon intonation pleine de love 😂 « est-ce que tu serais d’accord pour que je lise un livre qui parle de comment on fait pour mieux respecter les filles et les garçons et construire une société où on est tous et toutes plus heureux ? » Sous entendu tu veux bien que je lise un livre sur que ce qu’est le féminisme 😂
1+1+1+1… j’ai réussi à tous les convaincre. Voilà donc une dizaine d’hommes ivoiriens, soigneurs, Bssi( paramilitaires qui protègent la forêt), volontaires.. Certains plus ou moins par la force 😂.
Non je plaisante, ils sont tous venus de bon cœur et ça m’a fait tellement mais tellement plaisir de les voir arriver tôt à la soirée ce jour là, de s’installer, de me dire c’est quand qu’on commence ? Les voici à 19h, installés et prêt à débuter !
Jade, une volontaire, avait préparé un superbe feu de camp. Cette nana a vraiment un putain de talent pour faire des feux de camp. Les 3 femmes du camp, Jade, Dehlia et moi on s’est démêlées pour trouver des branches, du bois, des feuilles pour préparer ce feu de camp et cette soirée. On avait promis une lecture au coin du feu! Ça a de la gueule comme promesse non?
J’avais prévu des bières et des bonbons et une sisha 😂 pour créer le cadre agréable et propice à un bon mood. J’avais vraiment à cœur de créer un moment d’échange sur ce sujet, qui comme vous le savez, m’anime tout particulièrement dans ma vie. Je suis une féministe engagée, parfois radicale, politique, diplomatique, joyeuse, mais surtout putain de déterminée. Je lâche rien, même ici !
J’ai vraiment pris à cœur de faire en sorte que les messages de ce livre passent. J’ai relu tout le livre lors d’une de mes sorties en brousse avec les bébés Bintou et Moussa lorsqu’ils s’amusaient dans les branches. J’ai relu tout le livre, j’ai surligné des passages, j’ai supprimé des passages trop complexes, j’ai changé des mots pour les rendre audibles. Tout le monde ici ne sait pas lire, écrire, et donc j’ai fait un travail de traduction et simplification de certains msg pour être sure qu’ils soient bien compris. C’est important de s’adapter à son audience, encore plus sur ces sujets. La communicante is back 😂
2/Go, la soirée commence! 🔥
J’ai pris ma petite chaise de camping, j’me suis installée devant eux. Tout le monde était en arc de cercle devant moi, sur des tapis, bancs, chaises en bois, par terre. J’avais un peu la pression. J’avais peur que ça retombe, qu’ils s’ennuient, que ça ne prenne pas, je me demandais si ça allait pas être trop long. J’avais quand même raccourci un peu le livre pour garder leur attention. La lecture a duré au moins 30 min ( mdr ils étaient à bout 😂). Plus tard, l’un des garçons me dira tu voulais vraiment aller au bout de ton chapitre 😂. La grosse forceuse.
Bref, en vérité, ils étaient super attentifs, j’entendais des petits débats entre eux sur certains passages, ils étaient tous à l’écoute. Le livre a balayé plusieurs grands sujets : l’égalité salariale, les différences culturelles, l’autrice étant nigériane elle en a eu des remarques, le féministe vs l’Afrique, le droit des femmes, les tâches ménagères, les violences sexuelles et physiques, l’amour, l’éducation des garçons et des petites filles, l’argent et qui doit payer l’addition, la tenue vestimentaire, le viol, bref franchement on a balayé rapidement pas mal de sujets.
J’avais pas choisi ce livre pour rien, l’autrice étant africaine elle était capable de rétorquer pas mal de préjugés/ freins des hommes ici et elle connaissait le contexte culturel mieux que personne.
Et puis…. La fin du livre a sonné. Ils et elles m’ont tous applaudi à la fin. En même temps j’avais donné de ma personne. Comédia del Arte dans ma manière de lire évidemment 😂
3/ Boum, feu, que le spectacle commence 💥
« Alors, qu’est que vous en avez pensé? », bim ma première question. Et le débat est lancé !
Honnêtement c’est parti dans absolument tous les sens mais c’était merveilleux quand même. Merveilleux de les voir débattre de ce sujet, être d’accord, pas d’accord, dire des ÉNORMES CONNERIES ( mdr je vous en préserve, c’était dur à entendre parfois 🥲), rigoler, s’énerver, se contredire, chercher leurs mots, se défendre, essayer de convaincre, trouver des exemples, parler de leur situation personnelle…
Et moi, je suis restée toujours en posture de daronne bienveillance mais putain de déterminée et sereine de son propos. Bastien, le manager m’a d’ailleurs m’a fait rire. Il m’a dit j’ai découvert une nouvelle Anaïs : une Anaïs qui regarde la personne en souriant et en hochant la tête en mode je t’écoute parle-moi, mais qui a envie qu’une envie au fond de la défoncer 😂.
Il y a quand même des mentalités très difficiles à changer et une énorme résistance au changement. En revanche; étonnement; c’est pas qu’ils ne veulent pas que ça change (enfin si sur certains trucs évidement) mais c’est surtout qu’ils pensent que c’est impossible de faire changer les choses. Ils sont dans un immobilisme ( comme partout d’ailleurs hein) en mode « mais on arrivera pas à changer tout le monde, c’est impossible, c’est trop long, c’est trop tard, ça a toujours été comme ça, c’est une goutte dans l’océan…). Ils disent pas s’ils veulent pas changer à leur échelle, mais ils disent que ça servira à rien pcq tout le monde ne changera.
C’est aussi des hommes avec une éducation très viriliste : « des hommes durs». Mais en même temps, j’adore découvrir leur sensibilité en créant les conditions : en 1to1, sur les sujets de love, en prenant la posture de mama, en parlant de leur sœur, mère, fille etc.
La soirée s’est terminée à minuit, nous, les 3 femmes, ont les a épuisé 😂. À la fin, il y en a 2 qui ont dit « j’ai la tête qui fume faut que j’aille marcher » mdr j’ai adoré.
Je pourrais pas résumer tout ce qu’il s’est dit pendant ce débat ici, ça serait trop long, et cafouilli. En revanche, ça serait génial d’y mélanger des filles ivoiriennes à ce débat car évidement qu’il y a des différences culturelles. Honnêtement pendant le débat il y a eu une merveilleuse solidarité féminine entre Jade Dehlia et moi, on animait le débat, on essayait ( plus ou moins diplomatiquement et calmement 😂) d’expliquer, d’argumenter. C’est quand même fatiguant que ça soit encore aux femmes d’éduquer aux garçons… Mais bon, c’est peut être aussi un de mes missions de vie pour créer un monde plus égalitaire. Les volontaires français et quelques garçons notamment chez les BSSi ( les militaires de la forêt) qui ont dit des trucs chouettes et encourageants. Ça donne de l’espoir !
Et ce qui m’a donné encore plus d’espoir, c’est après lors de mes discussions avec les garçons en 1to1, j’ai senti qu’on avait planté des graines qui, je l’espère, germeront. 🌱
Ce fût une soirée merveilleuse et j’avoue n’être pas peu fière d’avoir organisé ça.
Bref, j’ai foutu le feu au camp et j’ai adoré ça. Au moins, vous avez la certitude, que je ne change pas. En France, en Côte d’Ivoire, n’importe où dans le monde, je pense à mes sœurs du monde entier. Je ne serai jamais entièrement libre tant que mes sœurs ne le sont pas non plus. Alors, c’est à nous qui avons le pouvoir, la parole, les moyens, la sécurité, de diffuser, partager, convaincre, les femmes qui ne le peuvent pas.
From Love, toujours le love avant tout.
Anaïs.