Mood sonore de cette lettre : Nach- le temps de vivre 🎶
Ça y est.
Je suis rentrée.
Il y a un peu plus de 4 mois, j’écrivais « ça y est je suis partie ». J’ai à la fois l’impression que c’était hier et à la fois que c’était il y a 10 ans tellement ce que j’ai vécu était intense, fou.
J’ai eu beaucoup de mal à écrire ce billet. Je me sens étrange, j’ai l’impression d’être ici en vacances. De voir la famille, les ami.e.s, la bouffe française (oui bien sûr, question de priorité 😂). Mais j’ai pas l’impression d’être rentrée à la maison pour la vie. J’ai l’impression que je vais retrouver la forêt, les petits chimps, les volontaires, les soigneurs. Sensation vraiment dingue. Mais où est mon chez moi? Elle est où ma vie ? Où est-ce que je veux que ma vie soit ? Et au service de quoi ? C’est la grande question.
Avant que je vous parle de ma suite, venez que je vous raconte mon départ.
Un aurevoir, mais pas un adieu.
J’ai eu le droit aux embrassades, au love
de mes mama du marché. L’une d’entre elles m’a même fait faire une superbe combinaison chez le couturier. Faut s’imaginer qu’elle ne roule pas sur l’or, mais elle a voulu à tout prix m’offrir une tenue.. tellement émue quoi 🥲. Elles m’ont toutes dit tu reviens ma fille, tu reviens ma grande, tu reviens ma sœur. J’avais acheté un pagne à chacune de mes mama. Une manière pour moi de les remercier pour tout cet amour maternel, sorore, libre, spontané, vrai. Bon, elles veulent à peu près toutes me marier ici 😂 ou alors que je ramène un bon mari là-bas 😂.
J’ai aussi eu le droit à des moments uniques avec les chimpanzés, alors que je n’ai pas dit que je partais. Estelle, la directrice m’avait conseillé de ne pas leur dire que je partais, je devais faire comme si je les revoyais le lendemain pour les protéger. Ils sont tellement sensibles mais je devais aussi en profiter pour leur donner l’amour l’amour l’amour. Je ne sais pas comment, enfin si je sais car ce sont des êtres brillants et sensibles, ils m’ont couvert de tellement mais de tellement tellement d’amour pour ma dernière brousse ( enfin dernière…). Ma dernière brousse fût merveilleuse. Vraiment indescriptible. J’étais avec Jacques, Jacques est vraiment le papa chimpanzé par excellent. Il a 34 ans passés, il a déjà 3 enfants, il est d’une douceur et d’une parentalité folle. Il comprend, écoute, observe beaucoup les chimpanzés. Lors de ma dernière brousse, Akouba, Emma, Djodjo Jules, tous sont venus me couvrir d’amour. Me serrer fort fort, m’épouiller, jouer, me lécher, me prendre les mains, jouer avec mon gras, se mettre sur mon dos pour être porté (évidemment… comment résister.. comme disent les soigneurs ici j’étais en promo ce jour- là c’est à dire que j’ai tout laissé passer, j’ai tout donné)… bref vraiment de l’amour. J’ai même pas les mots pour décrire cette sortie en brousse avec eux. Alors que bizarrement, lors de cette brousse, on a croisé des chasseurs avec des chiens, des villageoises, des jeunes qui sont rentrés illégalement pour chasser/ ramasser des plantes, des écorces etc. Une dizaine de personnes s’était introduites dans la forêt. Et d’ailleurs c’était bien flippant, mais Jacques a géré comme un chef.
Ce jour là j’ai ressenti un truc fou : j’ai pas du tout eu peur pour moi, j’ai pensé à moi à aucun moment d’ailleurs, mais j’ai eu peur pour eux mais vraiment la boule au ventre. J’étais tellement concentrée ( et angoissée) : on doit protéger les chimps. On ne sait pas comment les chimps peuvent réagir devant des chasseurs (enfin si, c’est déjà arrivé une fois et Jules est parti attaqué et mordre le chasseur 😂 « c’est bien mon fils ! » comme disent les garçons). Les chimps peuvent avoir peur, être curieux, avoir besoin de réassurance etc dans ces moments. Dans les faits, aucun chasseur ou « visiteur illégal» de la forêt viendrait dans cette forêt classée et protégée par Akatia et les BSSI ( miliaires qui protègent la forêt) et la SODEFOR ( organe étatique en charge des forêts) pour tuer un chimp. Ils sont pas aussi fous que ça. Enfin j’espère.
Au final, on a pu identifier certains visages, et on a surtout géré la situation sans aucun problème. Les chimps sont restés sereins, avec nous, en sécurité, à l’abri de tout danger ou rencontre, et on est rentrés au camp dans le calme avec eux.
Mais ce que je retiens surtout c’est cet instinct quasi maternel, sauvage, premier, qui nous a animés avec Jacques : les protéger, les rassurer, les sécuriser. Comme des parents avec leurs enfants.
Bref ce type de situations arrive ici.. la protection de la forêt est la clé de voûte des enjeux de biodiversité. Et quand on est sur le terrain, on comprend la difficulté monumentale (mais pas impossible) mais surtout l’enjeu primordial de protéger les habitats des animaux. C’est le pilier du problème de la disparition des chimpanzés dans le monde. Ils n’ont plus de lieu où vivre en fait. Déforestation, braconnage, trafic, imaginez qu’au fur et à mesure des mois, on vous enlève un m2 dans votre appartement, vous allez rapidement crever. Ou alors pensez au confinement, enfermés dans 20m2. C’est ça la vie qu’on veut offrir à nos semblables non-humains ? Je m’y refuse catégoriquement.
Bref revenons à mon départ, j’avais évidemment acheté des petits cadeaux pour tous les chimpanzés : les trois grandes en cage (Judith, Hawa, Asta), les petits (Akouba, Emma, Djodjo, Jules), et les bébés (Bintou et Moussa). D’ailleurs dans un prochain billet je raconterai leur histoire. Faut avoir le cœur bien accroché, mais c’est essentiel. Bref allez, un Yop à boire pour tous ! Ils adorent ça et c’est bon pour eux de temps en temps, même si ça coûte cher au « supermarché » (enfin dans la petite boutique chez Ahmed) au village. Mais j’adore quand ils ouvrent avec minutie, intelligence leur sachet de YOP (ici ce sont des sachets, pas des bouteilles).
Quand j’écris tout ça, je suis traversée par tellement d’émotions. Eh (et d’ailleurs vous allez découvrir mes nouvelles mimiques orales notamment le « Eh »).
Je ne peux pas vous parler de ma dernière journée au camp sans vous parler de ma soirée de départ. Wow, accrochez-vous parce que ça pue l’amour et l’amitié. Déjà, même Zack qui était en congés cette semaine-là, est venu exprès pour moi.
Déjà, en fin de journée, Dehlia et moi avons eu le droit à la douche sacrée que l’on fait les jours d’anniversaire. Des gros seaux d’eau bien froids, bien dégueu, bien du sable, bien de la boue, et hop sur la tête. Je ne me suis même pas débattue 😂. En vrai, c’était bien drôle !
Après ça, Dehlia, Jade ont préparé la table comme des cœurs. Elles m’interdisaient de venir pour tout préparer, ils et se sont tous fait beaux et belles. Moi y compris ! Jade m’a fait des tresses, et j’ai sorti le pagne et du ROUGE À LÈVRES, s’il vous plaît. Mdr ne me demandez même pas pourquoi j’avais ça dans ma valise, j’ai redécouvert le rouge à lèvres ce jour-là. Dehlia m’a mise une couronne sur la tête et m’a dit c’est toi la reine ce soir.
J’avais préparé un Poulet Yassa (j’avais promis de leur faire mon poulet yassa avant de partir – alors que je n’ai même pas mangé le poulet !). Ils se sont régalés. Les volontaires avaient acheté des bières, Abou avait fait les gâteaux qu’il fait à chaque départ. Une vraie prouesse : des gâteaux sans four hein ! Ils sont moitié gâteau moitié pierre 😂😂😂, je plaisante mais je retiens surtout l’intention et le love. Roger avait fait « riz gras », un riz trop bon. La soirée a été rythmée, et c’est le moins qu’on puisse dire ! On a chanté (bien sûr, on a chanté « Brûler le feu » de Juliette Armanet 😂), on a dansé (coup du marteau mood, une chanson d’ici qui a explosé à la CAN). Eh ça danse bien chez les garçons hein, les petits déhanchés, on a rigolé. On a vibré. Et j’ai ressenti beaucoup d’amour et d’amitié.
J’ai fait un petit discours. J’ai même pleuré. Eh c’était trop pour moi ! Bena a commencé à chanter « Anaïs, tu vas nous manquer oh, avec ton sourire oh, tu reviens vite oh », avec les garçons en cœur qui chantaient en langue. Vraiment c’était fou. J’étais très très émue. J’oublierai jamais de ma vie ce moment-là. Ils m’ont offert des cadeaux : un pagne, un bracelet, un porte-bonheur. C’était mon cadeau d’anniversaire en avance. C’est tellement tellement touchant quand on sait qu’ils sont loin d’être riches. J’ai soufflé les bougies avec Dehlia qui a la même date d’anniversaire que moi (c’est fou ce destin non ?!). Et puis, on a fait une dernière partie de Yams, un jeu de dès dont je n’ai pas compris les règles dès le jour 1 😂. J’étais émue car j’ai senti que la boucle était bouclée : lors de mon arrivée en janvier j’ai joué à ce jeu et je n’avais rien compris. Lors de mon départ en mai, j’ai joué à ce jeu, et je n’ai toujours rien compris 😂. En plus on a fait que tricher, inventer de nouvelles règles, on a bien rigolé !
Et voilà, il était l’heure de partir dormir, ma dernière nuit. En forêt. Dans ma tente. Sur mon matelas crevé. Dans mon drap humide comme never. Avec tous les bruits nocturnes (et parfois flippants) qui accompagnent les nuits en forêt. Je n’arrive même pas à retranscrire le nombre de pensées que j’ai eu. À la fois un sentiment de sérénité, d’angoisse, de questionnement, de plénitude, d’amour, de peur, mais j’avais une seule conviction : ce n’est qu’un au revoir.
Ça y est.
C’est le grand jour, je quitte le camp. Je passe faire mon bisous à tous les chimps comme d’hab. Petite séance photo avec les garçons et les volontaires (c’est une tradition ici), et des gros câlins. Et puis, un immense au revoir et merci à la forêt. À la vie, au vivant, à tout ce qui m’entoure. À tout ce qui m’a porté, à tout ce que ça m’a apporté, à tout ce que j’ai vécu. À tout ce que j’ai ressenti. Un immense merci. La gratitude, wow quel sentiment à cultiver en soi. Sur le chemin pour sortir de la forêt, j’ai demandé à Bena, le chauffeur, de s’arrêter quelques minutes. Je suis descendue du 4×4 (dont le prénom est Rihanna ici 😂), et j’ai regardé la forêt, j’ai ouvert mon bras, mon cœur et j’ai dit merci pour tout. Merci la vie.
Me voilà en route pour Abidjan. Sur la route, Bastien, le manager, m’avait glissé une merveilleuse lettre dans la boîte à gants. J’ai chialé : « quelqu’un de pétillante, lumineuse, heureuse tout simplement. Dès ton arrivée au camp, tu as changé mes journées, avec cet entrain plein de bienveillance. ‘C’est super, c’est génial’, pour rien ou pas grand-chose, mais c’est ça qui a fait du bien. Une espèce de chaleur humaine que tu partages juste en étant toi. (…) et tu le sais une place te sera toujours gardée non loin de ta sœur Akouba. ». La grosse chialade. J’ai vécu une expérience vivante et humaine indescriptible. Merci à elles et eux. Merci pour cet accueil si chaleureux. Merci pour tout, merci de m’avoir accepté telle que je suis. Tout ça n’aurait pas été la même chose sans vous. Sans votre amitié, votre bonne humeur, votre humour. Eh si seulement vous saviez combien j’ai rigolé ici 😂 vraiment des moments tellement drôles et cocasses.
À la Anaïs de décembre qui avait peur, qui avait des doutes sur la résilience de mon corps à vivre cette expérience (encore plus après l’annonce d’un diagnostic du lipœdème), je te dis : Bravo ma grande. Tu as réussi. Tu peux être très fière de toi. Tu es au bon endroit au bon moment. Tu es alignée, tu es engagée. Tu as suivi ton cœur, ta mission de vie, tu es forte et puissante. Et ce n’est que le début. Ce n’est que le début. Cette lettre ne sera donc pas la dernière 😉
Alors aujourd’hui le retour en France est plus difficile, forcément hein. Je suis bouleversée par l’abondance de nos vies et en même temps le vide total. Et en même temps j’aime retrouver Paris et son énergie. C’est très étrange. En revanche, j’ai hâte de vous revoir tous et toutes. J’ai eu, et j’ai encore, la sensation terrible d’abandonner les chimpanzés, comme si j’abandonnais mes enfants. En plus, j’ai une photo incroyable des chimps en fond d’écran de mon téléphone. Je vois leur regard, je revis le moment, je me dois. J’ai une responsabilité. Je ne peux pas les abandonner. C’est notre responsabilité collective. Réparer les erreurs d’autres humains de notre espèce. On ne peut pas toujours refourguer la responsabilité de changer les choses aux autres, parfois il faut prendre son courage, ses énormes ovaires ou couilles à deux mains et y aller. Personne ne le fera à notre place.
La photo en question. Ces regards.
Alors go Anaïs, c’est peut-être ton destin. Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve, mais je sais que je suis capable de grandes choses et que c’est mon devoir, ma responsabilité, ma mission de les accomplir. Et je crois à la vie, à la synchronicité, au karma, au destin, alors je vais faire comme ma mère m’a toujours dit de faire : aies confiance en la vie. Alors go, ça y est, c’est reparti pour la prochaine étape de ta vie !
Screen datant de 2022 :
Je vous embrasse, je vais osciller entre Paris et le Sud. J’aimerais organiser une petite soirée de retour/d’anniversaire, je vous tiendrai au courant. D’ici là, allez go à vos verres et cafés, j’ai hâte de vous revoir ♥️♥️
Merci pour tout ce love depuis le début, merci pour ce soutien, cet intérêt pour ici, pour les chimps, pour le vivant. Ça m’a tellement porté.
Et ne quittez pas ici hein, c’est que le début de plus grand. Je ne pourrais pas faire résonner le bruit de la forêt sans vous. Si je veux contribuer à changer le monde, je ne pourrais jamais le faire seule, j’espère que vous serez là pour m’y aider. Mais je n’ai pas de doute là-dessus parce que vous avez tous le cœur à la bonne place ici et que vous y contribuez aussi tous et toutes à votre échelle.
On y arrivera.
Ouh ouh ouh ouh (ça c’est moi qui refais les vocalises d’excitation des chimps pour dire au revoir 😉)
From love. Toujours le love.
Anaïs is back.